Depuis des années, sa vie était un enfer. Il avait sur elle
une emprise terrible, un pouvoir inexplicable. Il la dominait après l'avoir
subjuguée, l'immobilisait dans ses velléités de révolte. Cela faisait longtemps
que leur union n'était plus que souvenir, qu'ils n'étaient plus mariés que sur
le papier. Il lui avait même déclaré un jour : « Tu sais, si je garde mon
alliance, c'est seulement pour ne pas avoir une vilaine trace sur le doigt ! ».
Elle avait bien tenté, de toutes ses forces, de « raccommoder les morceaux »,
comme elle disait à sa soeur, sa confidente. Mais rien n'y faisait. Ce n'était
plus que fâcheries, bouderies, et l'existence de l'un était sans discontinuer
malaise pour l'autre. Heureusement, il n'y avait pas d'enfants ! Cela aurait
irrémédiablement décuplé leurs différents, leurs accrochages et leurs rancunes.
Ils n'étaient même pas les vieux amants évoqués par Brel, car ils ne se
souvenaient plus d’avoir été, un jour, amants…
Ce jour-là, il se décida enfin à commettre l'irréparable :
il partirait. Il avait préparé ses affaires, lentement, tranquillement, pour
la narguer, pour jouir de son désarroi et de sa panique grandissante. Il la
tenait par cette menace, depuis des lustres, jusqu'à ce jour de vérité où son
départ était en fait une délivrance pour elle.
-« Enfin, te voilà dehors ! cria-t-elle rageusement. Enfin
tu disparais de mon existence ! Nous n'avons plus rien à nous dire, tu m'as
fait trop fait souffrir !
Il ne l'avait pas entendue, occupé à appeler un taxi. Il lui
déclara seulement : « Garde tout, l'appartement, la voiture, je ne veux rien
conserver de ce qui t’a appartenu !
-« Ne t'en fais pas, répliqua-t-elle, dès que tu auras
franchi cette porte tu auras disparu à jamais de ma vie, et je ne veux plus
entendre parler de toi !
La sérénité de l'homme l'exaspérait. Ils allaient donc se
quitter ainsi, sans dispute, dignement. Ils n'allaient même pas se livrer à une
énième scène dont ils avaient l'habitude. Tout était dit, tout était consommé.
Elle allait vivre à présent comme si elle ne l'avait jamais
connu. Elle ne chercherait jamais avoir de ses nouvelles, ah ça, non !
-« J’y vais, dit-il simplement. Ce serait donc ses derniers
mots. Il ne semblait ressentir aucun émoi, aucune détresse, et cela la gênait
beaucoup : Elle n'aurait même pas ce plaisir ! Elle ne put s'empêcher de
guetter un signe, un geste, un regard… Non, rien.
Il était descendu, il s'en était allé. Elle avait simplement
entendu ses pas dans l’escalier, comme d'habitude. Une voiture ralentissait.
Elle se pencha à la fenêtre. Le taxi venait d'arriver. Elle claqua la porte et
descendit l'escalier.
Loïc Roussain
Loïc Roussain
4 commentaires:
Et oui, cela arrive.... Belle soirée à vous deux !! Bises à vous deux ...
Bizarre la photo indique que c'est elle qui part et non lui.
Dans la dernière phrase, elle descend aussi l'escalier ... est-ce pour l'accompagner, ou autre ... ?
Merci pour ta participation, Gérard
LOIC
Dans les séparations le drame et le bonheur se situent là : " Elle allait vivre à présent comme si elle ne l'avait jamais connu."
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