Que sont ces instants devenus ? …
Toute notre famille a pris le trolleybus jusque l’autre bout de la ville, puis, après une marche assez longue, nous avons pu nous installer sur le sable de la plage de Sainte-Anne du Portzic, entre Brest et le Conquet. Après un délicieux cocktail de sauts dans l’eau, de plongeons, de « celui qui arrivera le plus vite sur le ponton », de concours de châteaux de sable, et le sacro-saint bain de soleil, c’est déjà le retour.
Et voici, aujourd’hui, le cadeau : Bien que connaissant, bien sûr, notre réponse, Papa et Maman nous proposent une petite fraîcheur au petit café, celui où les glaces sont si belles.
Papa s’approche d’un gros coffre au dessus transparent, rutilant et scintillant de couleurs multicolores. Nous nous approchons et il proclame de manière solennelle, les yeux aussi écarquillés que les nôtres : « C’est un juke-box ! »
Après l’instant de la découverte, il va falloir évidemment l’essayer.
Papa, royal, glisse une pièce dans une fente, et appuie sur plusieurs boutons (il cherche bien pour ne pas se tromper, il vérifie que tout est bon, sur un tableau éclairé de bonbon) … Et un curieux manège de barres, de roues dentées, de pinces de robot, s’agite derrière la vitre. Un petit disque « 45 tours » surgit, se pose, et … Bourvil vient nous susurrer « Salade de fruits, jolie, jolie, jolie, tu plais à ma mère, tu plais à mon père, un jour ou l’autre il faudra bien qu’on nous marie … »
Un silence impressionnant s’installe, presque incongru dans un équipage d’enfants. Jamais entendue, celle-là ! (Nous n’avons pas encore la radio, à la maison).
Nous dégustons, sirotons ce moment, chacun s’est laissé glisser avec jouissance dans son ailleurs personnel. Je n’ai pour ma part prêté attention qu’à l’expression « salade de fruits », le reste viendra plus tard … L’expression, oui, et la musique si douce.
Cette chanson du début des années soixante, aujourd’hui, vient parfois me titiller : les tables en formica, les chaises aux dos en tiges de plastique (on peut même y jouer de la guitare !), les posters sur les murs, Claude François, Gene Vincent, Vince Taylor, les cendriers jaunes Ricard plâtrés à l’intérieur contre la fauche, et la paille du limonade-grenadine, le sirop magique de mon enfance … Tout cela, je ne les prêterais pour rien au monde : Ce sont MES madeleines !
Loïc