Laideur
?
"
Comment ça, "un exemplaire hurlant, tonitruant, de laideur ?
Une verrue dans le paysage" ... ? Non mais vous vous êtes
regardés, les moussaillons ? Vous vous croyez beaux, peut-être,
vous ? Expliquez-moi, alors, ce qui est beau, et ce qui est moche…
Je me suis déjà assez accroché sur ce sujet avec les copains, en
cours de philo et en séances d'Arts plastiques ! C'était… il y a
très longtemps, dans une autre vie…"
Les
jeunes restent cois. L'Amiral ne plaisante pas, là. C'est évident :
son regard brille, ses lèvres tremblent. Ce n'est pas le moment de
le chatouiller; Le petit homme, nerveux, trépigne en passant d'un
pied sur l'autre, comme un matelot en mer.
"Au
cours de mes voyages sur les vaisseaux de la Royale, puis sur mon
bateau quand je vais traquer le bar de ligne, j'ai repéré tous ces
déchets, ces bois flottés, qui me passaient sous le nez. Repéré
aussi les criques, plage, anses où je les retrouverais.
Oubliés
alors les ordres, les contraintes militaires, vive la vie ! Remisé
le Bachi, le treillis, les tenues d'été et d'hiver : Je ne serai
plus que l'Amiral, seul maître à bord et le seul à qui obéir !
Je
me suis fait le serment de me bâtir, seul, ma maison, selon mes
plans, mes envies, et tout le bazar : Merde à Vauban, nom d'une pipe
en bois ! et voilà le travail ! Pouvez applaudir, oui !
L'intérieur,
croyez-moi si vous voulez, mais pas du tout de guingois ! Seulement
quelques angles pas tout à fait droits, d'accord, mais… Les
charpentiers-ébénistes de la Marine disent que sur un bateau on ne
connaît pas l'angle droit.
Ne
vous inquiétez pas : pas folle la guêpe, je n'ai pas pété un
câble. Cette façade n'est… qu'une façade. Un pied de nez à tous
les conformistes, les diffuseurs de prêt-à-penser, les enfonceurs
de portes ouvertes.
Derrière
le « laid », grattez donc un peu, prenez de l'assurance, et osez :
Entrez,
bienvenue chez l'Amiral, moussaillons, ici tout est « normal »,
vivable et décoré de mes laisses de mer, et de mes trouvailles, mes
trésors. Même la table et le bar sont d'aplomb; allez, entrez ! "
Loïc, avec mes remerciements aux Croqueurs de mots.