Gommer de la mémoire … ?
Dans le
bocage normand, nous avançons péniblement dans la fange qui colle au caoutchouc
des chars. La journée du 6 juin a été très éprouvante. Les paras, dans la nuit
noire, sont souvent tombés dans l’enfer poisseux et gluant des marais. Des
coulées bavent sous leurs vêtements, ont empli leurs casques ; ceux qui
portent des lunettes doivent progresser à l’aveuglette. Les blessés – ceux qui
le peuvent encore – avancent à tâtons, ralentis par la boue qui sèche sur les
pantalons et dans les rangers.
Même leurs
larmes s’épaississent sous la crasse omniprésente. Beaucoup de ces G.I.,
supermen fantomatiques, pleurent en effet, tentent de gommer les souvenirs les
plus tendres de leurs vies de jeunes hommes, presque des teenagers, en famille
dans la grande ville ou dans le ranch.
Les
chenilles des AMX pataugent dans les eaux croupies, avec un bruit lancinant de
succion et d’aspiration. Une image me vient, celle de ma mamma, italienne de souche ;
elle touille longuement la polenta que nous dégusterons religieusement. Je dois
chasser immédiatement ce souvenir : attention à la crise de nerfs, qui
peut me rendre dangereux envers mes compagnons …
Un jour, à
l’école, le maître – farouche défenseur de la francophonie – nous donna un
exercice. Il s’agissait d’inventer des néologismes français qui remplaceraient
les anglicismes « envahisseurs ». Nous avons imaginé, pour le
chewing-gum, le mot « mâchouillon ».
Aujourd’hui,
dans la gadoue, ce mâchouillon est le seul petit plaisir qui nous relie à notre
monde …
Tout cela
pourra-t-il être gommé un jour ?
Loïc
12 commentaires:
Souhaitons que rien ne soit gommé, ni même estompé. Mais finalement quelles leçons tirons-nous des carnages, des guerres et de tous ces héros?
Puisse ces souvenirs de guerre que ce soit celle dont tu parles que toutes les autres soient gommés de l'esprit de ceux qui l'ont vécue et qui on survécu mais ce n'est pas possible mais surtout, surtout qu'elle ne soit pas gommée de la mémoire collective et puissions nous nous surtout en tirer des leçons. Belle semaine. Je lance aujourd'hui le défi 151 des croqueurs de mots.
Pour effacer, faut avoir écrit avant
Pour Martine : Merci pour ce commentaire ... Je pense que l'un des moyens de faire avancer les choses (et surtout en changeant les mentalités) est un travail de fond, permanent, pas seul(e) mais dans un des mouvements qui existent (le Mouvement de la Paix, par exemple).
Le nouveau sujet des Croqueurs de mots : super ! je vais certainement m'y mettre, j'ai déjà des idées !
chouette mot ce "machouillon"
laissons à la mémoire le soin de faire elle-même le tri. S'il est vrai que l'on ne peut se souvenir de tout, il y a aussi des souvenirs encombrants certes mais qu'il faut entretenir
Un machouillon... voilà un mot qui me plait... Tiens, même le correcteur orthographique n'en veut pas ! Il ne sait pas ce qu'il perd le bougre à ne pas le posséder.
Quoi dire par contre sur tous ces conflits passés et à venir ? Oui, à venir car j'entends déjà le bruit des bottes. J'espère me tromper. Je crois que l'homme ne sait pas faire autre chose. Un concept dualiste victorieux depuis l’avènement des religions monothéistes.
Il est des évènements que l'on voudrait ne pas avoir connu ou entendu parler mais l'histoire reste dans les mémoires et les écrits sont là à jamais...Bises et bonne journée
Pour Margi Mond : pas seulement pour les religion monothéistes, mais le concet religieux en général ... enfin, je pense, étant athée.
Pour Loïc :
Oui, bien sûr, mais les polythéistes pour le peu qu'ils restent, demeurent dans un concept moniste donc pas de jugement, de comparaisons superlatives, pas de pouvoir sur les plus faibles... etc. Enfin, bon, tu as raison, ce ne sont que des concepts philosophiques. On se prend parfois à rêver d'un monde un peu plus humain.
Moi aussi je suis "athée" je mets ce mot entre guillemets car je ne l'aime pas ! Le préfixe "a" signifie "sans" ! Nous manquerait-il quelque chose pour vivre ?
bonne fin de journée.
Pour margi Mond :"Nous manquerait-il quelque chose pour vivre ?", demandes-tu. En ce qui me concerne, non. J'essaie de cultiver l'humanisme.
Joli mot, ce machouillon !
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