Ecrimagineur

Je suis heureux de vous accueillir dans mon blog ! Vous y trouverez des textes, de la poésie, des souvenirs de vadrouilles et de voyages intimes, que j'ai écrits, seul ou dans un atelier d'écriture, depuis 2001... J'ai pour sujets d'inspiration un thème imposé, un texte, une photo, un tableau, une musique, ou un morceau de mon existence...
Les "Ecrimages" sont les résultats de ces rencontres entre la lettre et l'image...
Je serai ravi de lire vos commentaires : Merci !
Loïc

mercredi 24 juin 2015

Nexxo, le cheval fou

Tous les lanterneaux sont pourtant ouverts en grand, les "écoutilles" du tableau de bord soufflent tant qu'elles le peuvent un air chaud, tentant de nous refroidir ... Je saisis régulièrement ma bouteille d'eau, et engloutit goulûment ... Ma femme me pulvérise toutes les trois minutes sur la figure un jet d'eau qui me fait sursauter. Nous ne sommes vraiment pas habitués à cette chaleur lourde, accablante, qui nous anéantit.
Notre prochain camping-car, c'est sûr, aura la clim', bon Dieu !
Enfin - je commençais vraiment à perdre tout espoir - nous approchons du port de salut, voici l'aire de stationnement ! Sauvés ... Repos, douche : nous allons revivre ! Encore quelques efforts, car il nous faut bien garer "la bête". Dans le milieu des camping-caristes, cette chose porte beaucoup de noms plus ou moins heureux et appropriés, mais toujours très affectueux : BB (comme Boîte à bonheur), Baluchon (celui-là, je l'adore !) ...
Bien conscients d'avoir accompli aujourd'hui un exploit inégalé, nous avons, en un seul jour, "fait" le col du Tourmalet ET le cirque de Gavarnie ! Nous sommes cuits, à jeter, à ramasser à la petite cuiller, des lavasses.
Mais il ne faut jamais désespérer, et tout vient à point pour qui sait attendre : comme par miracle (ou plutôt grâce à Annie) devant moi, près du véhicule, sous l'auvent, nous attendent près des transatlantiques les petits gâteaux, les fruits givrés, le jus de fruit et l'apéritif. Nous communions alors, dans une extase qui nous envahit, à la joie indicible de l'Etape, orteils en éventail, un sourire béat en est le signe muet. Nous sommes au Ciel (y a-t'il un paradis des camping-caristes ?), ivres de plaisir et de fatigue. Devant nos yeux mi-clos défilent les merveilleux paysages de la journée ...
Ah mais ... Avant, il me reste à mettre en place les cales qui vont donner à notre bivouac ambulant une horizontalité bienvenue.

Ça y est, nous sommes prêts pour un repos réparateur, avant la prochaine étape. Certains pourront (oseront) prétendre que nous ne sommes pas à plaindre, mais ils auront tort, qu'ils se le tiennent pour dit.
Bien allongé dans mon transat, les yeux perdus dans le vague, je laisse mon regard vagabonder ...
Les cales, sous les deux roues à l'arrière, changent lentement de couleur. De jaune franc, elles se colorent à présent en un bleu ciel transparent. Leur pointe est un des innombrables sommets que nous avons pu admirer, des nimbes les couvrent puis s'estompent ...
La route de montagne est de plus en plus raide, les lacets se succèdent, interminablement, lancinants, mais je suis sous un charme inconnu, hypnotisé. Je monte vers le ciel, je ne m'arrêterai jamais. Les virages, les ravins, le vide à ma gauche, me paralysent et me transcendent tout à la fois.
Plusieurs fois j'ai dû m'arrêter, en sueur, pour laisser passer des vaches ou des moutons en liberté dans les alpages, mais cette fois-ci ce sont ... des lamas qui nous barrent le passage, guidés par le capitaine Archibald Haddock, qui arbore un large sourire assez inquiétant, car il ne présage rien de bon. Je ne lui connaissais pas cet air sadique, moi ... Tout à coup, de gros nuages forment un brouillard épais qui ne m'autorise qu'une visibilité de quelques mètres.
Une femme se tient près de moi : la fée Clochette. Elle m'a gentiment proposé de remplir la fonction de co-pilote. Comment refuser, bien sûr ? Si avenante, si aimable, si ... Mais j'arrête de divaguer, quand elle me crie soudain :
"Mais fais un peu attention à ce que tu fais ! J'en étais certaine, ce n'est pas la bonne route, nous voici perdus en pleine montagne, espèce d'idiot !"
"Je t'assure, Clochette, que ..." balbutié-je. Mais je me ravise : "Mais ne crois pas que je sois ignare au point de nous conduire n'importe où, j'ai bien préparé notre itinéraire. Et puis tu commences à m'agacer sérieusement, toi !
Clochette sent bien que cela ne va pas tarder à tourner au vinaigre : elle saisit alors, tel une baguette magique, le levier de vitesse, et l'agite en tous sens, proférant des formules cabalistiques que la bienséance ne me permet pas de répéter ici.
En un éclair, le brouillard se dissipe, un beau soleil apparaît en même temps qu'un merveilleux sourire sur le visage radieux de la fée.

Tout a repris son cours normal, et je roule de nouveau l'esprit libre, sur une route bien dégagée. Les platanes rythment l'allure du camping-car, dans l'alternance de leurs ombres et du scintillement des espaces. Je dépasse souvent des cyclistes, seuls ou en groupes, qui m'adressent des saluts amicaux lorsqu'ils ont aperçu nos deux vélos, accrochés bien sagement sur leur porte-vélo.
Je devise gaiement, abordant tous les sujets, et surtout en riant bien des plaisanteries que nous nous renvoyons. Nous les connaissons presque toutes, mais c'est tellement bon de les réentendre : "c'est encore meilleur réchauffé !"
Une casquette se présente, à ma gauche. "Tiens, une casquette", est ma seule réaction, d'une stupidité affligeante. Puis je réagis, freine, accélère, donne un coup de volant, le camping-car frôle le bas-côté. Une casquette, ce pourrait être celle d'un coureur ... S'ils en portaient encore ! Mais ce n'est plus le cas, et ici ... Il s'agit de celle du Kid. Oui, le kid, le gosse, de Charlie Chaplin, pédale à toute allure sur mon vélo (je le reconnais, c'est le mien, la sonnette est bleue, celle d'Annie est rose). Je ne sais ce qui me prend : j'ouvre ma vitre, et le traite de voleur, sans me demander comment ce vélo ... Mais le kid, bien sûr, ne comprend pas le français, et file devant, poursuivi par un trop mignon chien westie habillé en policeman qui souffle à perdre haleine dans un sifflet asthmatique.
Le Hollandais, lui, je le connais : C'est lui, celui qui suit sur le vélo d'Annie, qui a sympathisé sur le dernier camping, et qui a poussé la gentillesse jusque m'enseigner la fabrication du gouda. C'est lui, le Hollandais volant, qui décolle devant moi, pour faire le malin, avant de s'écraser sur la voûte d'un tunnel que je me suis bien gardé de lui signaler : Bien fait.

Bon, pas grave, me voici débarrassé des gêneurs. Je peux laisser Nexxo exprimer toute sa puissance, comme un cheval bridé qu'on libère. "Nexxo" ?  Ah, oui, c'est le nom officiel de ce véhicule, de la famille des Bürstner, vous avez bien connu ces gens-là.
Ne rigolons plus. Le turbo est lancé. Un ronflement de plus en plus violent envahit l'espace, gagne toute la vallée. L'antenne de TV, d'ordinaire si docile dans son logement du toit, en sort, hystérique, se tordant, twistant comme mon père quand il est gai, et elle commence à tourner, virevolter, accélère ... Nexxo décolle ! Un éclair gigantesque zèbre le ciel, le sol tremble sous ses sabots et sous mon volant, un énorme hennissement à rendre sourd jaillit, les jambes du cheval se raidissent, la crinière se dresse et fume : Mais il jouit, l'animal !
L'orgasme était trop puissant, le cœur n'a pas tenu. Mort instantanée. Le camping-car, désemparé tel un paquebot dans la tempête, sombre vers le fond du Cirque de Gavarnie ...
"Non mais ! Tu ne veux pas arrêter un peu de faire le clown ?"
La Belle au bois dormant (ou Annie ?) se rendort, allongée sur le lit du camping-car. Je n'avais pas remarqué qu'elle y montait, lorsque je me suis allongé sur mon transat.
Elle ronfle, ronfle. Elle aussi.
Elle a les traits de la fée Clochette.

Loïc

10 commentaires:

almanito a dit…

Un texte surréaliste avec le souffle de l'aventure. J'ai adoré, t'as un sacré talent Tizef!

Martine85 a dit…

C'est très bien écrit, tu m'as fait rire. J'aime aussi le baluchon de notre amie claire. Je n'ai jamais eu de camping car mais tous les étés nous partions en caravane (une burstner aussi) avec les enfants et nous avons même été avec jusqu'au sud du Portugal montagneux par endroit. Un jour en descendant en Italie nous avons perdu une roue sur l'autoroute. Miracle nous étions dans les embouteillages et mon époux a pu garder le contrôle du véhicule. Après réparation, nous sommes reparties pour l’Italie pour les enfants qui attendaient tant ces vacances mais après nous avons revendu la caravane. Je comprends ton rêve. Belle journée

Tizef a dit…

Grand merci pour ces louanges, Almanito ! Ils m'encouragent. J'ai beaucoup aimé écrire ce 'Nexxo', je me suis éclaté.

jill bill a dit…

Et bien vous nous en raconterez tant Loïc.... j'ai soudain envie d'un camping-car, merci, JB

Tmor a dit…

Bonjour,
J'aime bien. Tendre, poétique et décalé.
Bel univers.

Anonyme a dit…

Nous aussi nous revenons des"îles": Noirmoutier et Ré et là aussi certains paysages laissent à rêver mais toi tu nous entraînes avec la fée Clochette, alias Annie, dans un sacré rêve... Et avec quel humour! Bonne continuation avec votre fougueux Nexxo, peut-être vers votre Bretagne chérie?

almanito a dit…

Si tu le permets, un de ces jours je mettrai ton lien sur mon autre blog, celui où je réunis mes petits textes. Je suis certaine que mes visiteurs seront heureux de te découvrir.

Tizef a dit…

Tu le fais un grand honneur, Almanito ! J'accepte bien sûr avec plaisir !
Peux-tu me donner l'adresse ton autre blog, ici ? Je serais ravi de la faire connaître, aussi.
Loïc

almanito a dit…

C'est un petit blog d'écriture sans prétention, tu sais, il y a très peu de temps que je m'essaie à l'écriture. Tu le trouveras en cliquant sur mon pseudo tout simplement:)
Bon dimanche Loïc.

Lenaïg a dit…

Hé hé, rien ne nous est épargné, à nous lecteurs, mais surtout à vous, Loïc et Annie ! On transpire, on admire et on divague avec toi, Loïc, devant qui Annie se transforme en fée Clochette ! On rit aussi, du camping-car bloqué par des lamas guidés par un Capitaine Haddock qui par miracle les a apprivoisés ! Merci de nous faire partager vos expéditions et bravo à vous !