
Juliette Gréco. En concert samedi à Brest
Elle est un mythe de la chanson fançaise, mais n’en a cure. À
86 ans, la rieuse Juliette Gréco demeure un modèle de fraîcheur et de
passion. Elle se produit samedi au Quartz de Brest.
Qu’allez-vous interpréter à Brest ? Avec plus de 60 années de chansons, est-ce un casse-tête de composer le programme d’un concert ?
C’est épouvantable ! C’est d’autant plus difficile qu’à chaque
fois qu’on sort un nouveau disque, il faut sacrifier d’anciennes petites
chéries (rires) ! Il y a une longue histoire quand même ! En
concert,
ça va des débuts, « Jolie Môme », jusqu’à aujourd’hui. Il y a de tout !
Brel, Ferré, Gainsbourg, des chansons que les gens aiment comme « Un
petit poisson, un petit oiseau », « Déshabillez-moi », des nouvelles
aussi.
Et pour les chanter sur scène, vous avez un pianiste de légende à vos côtés, votre mari, Gérard Jouannest !
Oui, c’est un privilège pour moi, et un bonheur pour les
spectateurs, parce qu’il est magnifique en tant que pianiste,
accompagnateur, compositeur.
En tant que compositeur, son nom est d’abord associé à celui de Jacques Brel...
Absolument : leur première chanson commune a été « Ne me quitte pas ». Ensemble, ils ont fabriqué des monuments !
Qu’est-ce qui vous donne envie de continuer à faire de la scène ?
La passion. Ma vie à moi n’est faite que de cela. Hormis les
aléas de la vie, de la santé que je ne contrôle pas (mais les médecins
s’en chargent quand j’ai besoin d’eux), je ne fais que ce que j’aime. Je
suis tombée amoureuse de ce travail très tôt et cela ne se dément pas.
Je ne vis qu’à coups de colère et d’amour ! Je suis insupportable : je
suis déchaînée, je bouge tout le temps. Je n’ai jamais su me reposer !
Quel est votre public d’aujourd’hui ?
Contrairement à moi, mon public rajeunit ! Depuis quelques
années, il est même très jeune : c’est miraculeux ! Parce que je ne
chante pas « Poum poum tralala » (rires), même si ce serait tout à fait
respectable. Non, la raison est que j’ai de bons auteurs.
Et que vous êtes indémodable...
Ils sont indémodables. Que ce soient les musiciens, les
paroliers, ils ont écrit des choses magnifiques, qui le restent et le
resteront tant que la chanson existera. Brel, Brassens, Barbara,
Aznavour... Ces gens-là resteront. Moi, mon métier, c’est interprète.
Mieux qu’une interprète : vous avez été et demeurez la muse de grands auteurs !
Oui, je suis une « icône », je suis une « muse » (grands rires)
! Non : j’ai eu la chance qu’ils ont aimé ma manière de chanter, le
personnage que je suis. J’ai une histoire riche et longue de rencontres
et de bonheurs.
Comme lorsque Serge Gainsbourg vous a écrit « La Javanaise ». Vous la chanterez à Brest ?
Bien sûr, on ne peut pas s’en séparer.
Votre dernier album, « Ça se traverse et c’est beau... », est
inspiré par le ponts de Paris. Alors, si vous-même étiez un pont, que
relieriez-vous ?
Je ne suis pas un pont ! Enfin, peut-être. Miossec me dit : «
Gréco, c’est une passeuse ». Il n’a pas tort : je prends le trésor d’un
côté du pont et le transporte de l’autre.
Vous chantez samedi dans sa ville de Brest : que pensez-vous de Christophe Miossec ?
Je l'adore ! Miossec représente quelque chose de très profond
en moi, de très vivant. J'aime cet être humain-là. Et j'adore la manière
qu'il a de raconter les choses de la vie. Il est magnifique ! Quand je
l'ai rencontré, il n'était pas encore très connu.
Il vous a écrit des chansons. Il a aussi collaboré avec Gérard Jouannest, sur son album « L'étreinte ».
Ils ont travaillé de belle façon. Ils s'aiment bien tous les deux.
Quand sortirez-vous un nouvel album ?
Le 21 octobre : ce sera un hommage à Brel. Avec des choses que
je n'ai jamais chantées, et d'autres que j'interprète depuis très
longtemps. Je suis la seule personne pour qui Brel ait écrit des
chansons ! C'est assez curieux. Cela ne voulait pas dire grand-chose il y
a 56, 60 ans, mais aujourd'hui, ça a pris une autre dimension.
Que faut-il retenir de Brel ?
Il a traité tout ce qu'il y avait d'important dans la vie : il
l'a écrit, il l'a mis en chanson. C'est très compliqué ! Ses chansons
sont des tableaux. C'est le cas d' « Amsterdam ». Et « Les vieux », ça
me bouleverse ! Sa chanson « Chez ces gens-là », c'est un tableau de
l'époque flamande, d'une force extraordinaire. Mais je ne peux pas en
garder qu'une, je les aime trop !
Laquelle vous a-t-il écrite en premier ?
La première que j'ai chantée, c'est « ça va (le diable) » : une
chanson prémonitoire, toujours d'actualité. Il y traite de tout ce qui
se passe en ce moment. Avec une profondeur, une couleur, une force
extraordinaires. Mais la première qu'il a écrite pour moi, il l'avait
commencée en pensant à Bardot. Elle s'appelle « Vieille »... J'étais
très jeune ! Bardot ne l'a pas voulue : elle ne voulait pas chanter : «
C'est pour cela, jeunes gens, qu'on fond de moi s'éveille le désir
ardent de devenir vieille ». Ni : « je voudrais qu'on m'aime pour autre
chose que mes fesses »... Moi, j'étais vachement motivée (rires). C'est
dans ma nature.
Dites-vous toujours que détestez l'âge adulte ?
J'aime l'enfance, j'aime la jeunesse. J'aime ceux qui restent à
l'affût de tout : à l'affût de l'autre, de ce qui se passe. L'adulte
qui juge me révolte ! On n'a pas le droit de juger. Enfin, à part si
c'est le métier !
Impossible de ne pas poser la question à une meilleure connaisseuse que vous : qu'est-ce qu'une bonne chanson ?
C'est une bonne pièce de théâtre, qui raconte une histoire,
avec un début, un milieu et une conclusion. Ou un beau manifeste. C'est
une chose concrète : la plus jolie manière de créer. Et de dire « Je
t'aime ». Les chansons sont un lieu de rencontres. Des femmes m'ont dit,
j'ai rencontré mon mari sur « Déshabillez-moi ».
Voilà un bon début !
C'est normal (rires).
Avez-vous des affinités avec la Bretagne ?
Malheureusement, j'y vais rarement, et je ne sais pas pourquoi.
C'est un pays admirable : il y a une force en Bretagne, une richesse
intellectuelle extrêmement puissante. Ma petite-fille a choisi d'y vivre
! A Roscoff, avec un Breton, mais c'est à cause de la Bretagne qu'elle a
choisi la Bretagne ! Elle fait son chemin. Elle est traiteur et fait
aussi les marchés. C'est une petite personne formidable. Je crois
qu'elle mérite d'être en Bretagne !
En concert samedi 5 octobre 2013 à 20 h 30 au Grand Théâtre du Quartz à Brest. 35/38 €. 02.98.33.70.70.
- Propos recueillis par Frédéric Jambon (le Télégramme)