A cette époque, j’étais jeune, brillant sous ma cire, et
sous les lumières de la carrée. C’est le bosco de la Belle Fouesnantaise,
frégate au long cours, qui avait hérité de moi, qui venais de sa famille
malouine, et qui m’avait offert à son capitaine. Ou alors - mais je ne l’ai
jamais su exactement - j’ai été récupéré, en gage d’une dette de jeu, après une
escale bien arrosée …
Je trônais, au beau milieu de la carrée, devant le portrait
de l’ancien capitaine. Le pacha du moment aimait à s’y carrer dans mon assise,
car j’étais bien calé, les jours de tangage, et offrais un confort inégalable.
Mes accoudoirs permettaient au chef de garder une belle prestance, et de
l’autorité devant ses seconds : Une mutinerie est si vite arrivée !
Parfois – mais alors, par très beau temps et mer d’huile –
le maître à bord ordonnait qu’on me monte sur la passerelle ; là, il
pouvait tout diriger, sans se lever, et même, souvent, le verre de tafia en
main, car il avait tout loisir, en tournant lentement et alternativement à
tribord et à babord, pour surveiller ce qui se passait sur le pont.
J’en ai vu, du pays ! mais jamais d’escale …
Sauf maintenant. J’ai posé mon sac à terre quand la Belle
Fouesnantaise a été désarmée, et quand on l’a « mise à poil » :
plus rien dans les cabines, dans les cales, dans les coursives, tout le fourbi,
dehors. Le sac sur le dos et les pieds sur le quai : fini.
Les seuls matelots, à présent, se tiennent devant le patron
du bistro « l’ancre de marine », qui gère son affaire toujours assis.
Ces marins sont plus souvent dans des godasses à bascule qu’à la manœuvre, ça
je vous le dis, et moi je suis bien plus souvent arrosé de bière que de paquets
de mer …